• Mes albums de l'année 2015

     

     L'année s'achevant, et les classements divers s'accumulant, j'ai moi aussi voulu faire un bilan musical de cette année 2015. Beaucoup de morceaux écoutés, des découvertes, des confirmations, j'ai fait un tour de ce qui s'est fait cette année sur la scène internationale, essentiellement anglo-saxonne. En dehors de cette scène, seule quelques groupes français m'ont bien plu malgré tout, Feu Chatterton, Grand Blanc, Radio Elvis entre autres. J'ai fait un classement de ce qui m'a paru le plus intéressant par ailleurs. Toutefois, peut-être suis-je passé à coté d'autres albums que je vais découvrir dans les mois à venir, comme d'hab.

    Je présente ici mon clasement de 11 albums

    Tout d'abord la page du 1ier au 6ieme

    Par ailleurs La suite du classement ici de 7ieme à 11ieme

     

     

     

    1er Panda Bear - Sequential Circuits

     

    Noah Lennox est Panda Bear. Un Beach Boy machiniste du troisième millénaire, la voix stellaire des remuants chercheurs pop Animal Collective, connu du grand public depuis sa participation remarquée au dernier Daft Punk (Doin’ It Right) l’Américain vit avec sa femme et ses deux enfants, il vient  de New York, ville que le garçon a fuie il y a plus d’une décennie pour se trouver un havre loin de tout et de tous à Lisbonne .Un indice est néanmoins posé pour comprendre le personnage et les qualités ésotériques, presque magiques, de sa musique : Lennox vit hors du monde. “Un alien”, concède-t-il d’ailleurs. Son corps réside par obligation dans un monde trop agité pour lui quand son esprit, lui, semble flotter ailleurs, capable de se connecter à des ondes, savoirs et émotions inconnus. Et des secrets, le kaléidoscope démentiel de ces vitraux futuristes, dont l’assemblage maniaque aura nécessité sept mois (et près de 400 versions différentes pour certains morceaux) à Noah Lennox et son producteur, Peter “Sonic Boom” Kember, en cachent par dizaines – si nombreux qu’une vie pourrait ne pas suffire à en faire le tour. La brillance des harmonies vocales de Panda Bear – choeurs de messe païenne, harmonies d’un paradis inconnu – et les mélodies immédiatement aimables planquent sous leurs faux airs une infinité de détails soniques : reflets invisibles, rythmes illogiques, torsions structurelles, bizarreries organiques, créatures à la Miyazaki se mouvant dans l’ombre et prêtes à mordre ou à caresser.

     

     

     

     

     

     

    2ieme Courtney Barnett - Sometimes I Sit and Think, and Sometimes I Just Sit

     

    Déjà ce titre d’album, comme un manifeste slacker, un écho au Fier de ne rien faire des Olivensteins, le truc de l’élève qui rêvasse au fond de la classe, près du radiateur – pas besoin de travailler quand on a des facilités, pas besoin de réfléchir quand on a le don de faire jaillir des formules mélodiques magiques. On le sait depuis la compilation Double ep : A Split Of Seas de l’an dernier, l’Australienne à tête de chouette connaît ses classiques, toutes les règles du song-writing, de la grammaire garage-rock et des équations power-pop. Elle connaît tout par cœur, et rendait alors sa copie dans des chansons fougueuses et débraillées, inspirées et finalement pas du tout scolaires. Catégorie rock à guitares, Courtney Barnett était la révélation de 2014, talonnant les Américains Parquet Courts pour le premier prix de coolitude internationale. Sometimes I Sit And Think, And Sometimes I Just Sit est donc son premier vrai album, et c’est dans la poche pour le premier prix en 2015. Ces onze chansons sonnent comme si elles avaient été enregistrées le matin au réveil, par une belle journée d’été pleine de promesses et de paresse. Courtney Barnett chante des ballades de branleuse et du rock’n’roll en tongs. On y entend l’influence du rock des sixties (les Kinks, le Velvet Underground, Neil Young), du proto-punk hippie des Modern Lovers (première période), et d’une multitude de groupes indés américains des années 90. Rien de nouveau, mais de la fraîcheur, de l’énergie solaire, des loopings mélodiques et une voix addictive de chipie laconique, qui évoque la fille cachée de Jonathan Richman et Chan Marshall, la fille qui habite en face, de l’autre côté de la rue, dans une petite ville près de la mer, où il ne pleut jamais. Dans le livret de son album, la facétieuse Courtney Barnett a dessiné et nommé neuf types de chaises. En oubliant les deux qui vont bien avec l’amour qu’on lui porte : la chaise haute et la chaise longue.

     

     

     

     

     

     

     

    3 ieme Kurt Vile - b'lieve i'm goin down...

     

    Son prénom et son nom le prédestinaient à l’anonymat. Difficile en effet, dans la famille des rock-stars, de se prénommer “Kurt” sans donner l’impression d’arriver après la bataille… Comme si cela ne suffisait pas, le Kurt en question répond ici au patronyme de “Vile”. Prononcez “ Vaïïle”, soit Kurt Vaïile, comme le fameux compositeur allemand. Mais Kurt Vile n’a rien à voir avec les autres – tout juste partage-t-il avec Cobain la longue chevelure (mais lui la lave). Il est né avec les années 80, vient de Philadelphie et a joué un temps au sein de The War On Drugs avant de se lancer en solitaire. Depuis, le garçon enchaîne les disques avec frénésie – B’lieve I’m Goin down est son sixième officiel en sept ans. Le jeune homme est très apprécié de Kim Gordon l’héroïne de Sonic Youth. Dès le morceau d’ouverture, le très laid-back Pretty Pimpin, B’lieve I’m Goin down promet d’être un disque de haute volée – le genre que pourrait composer Neil Young aujourd’hui s’il était lui aussi né en 1980. Avec sa mélodie accroche-cœur, son riff enrouleur et son texte fluide, le titre s’impose en deux écoutes comme un classique du folk-rock US. Un peu cow-boy, Vile se présente dès le second morceau de son album comme un hors-la-loi (I’m an Outlaw). Cela tombe bien car c’est ce genre de personnage marginal qu’on aime le plus voir s’échapper des frontières américaines. Armé d’un banjo, le garçon, en quatre minutes envoûtantes, semble résumer tout de l’Amérique de nos fantasmes : on pense au désert, aux routes abandonnées, aux vieux motels, aux bleds paumés, à Clint Eastwood à cheval dans une plaine, aux Byrds dans un camion… Avec ses instruments d’hier (orgue Farfisa, guitares lap-steel, banjos), sa production chaude et ses morceaux presque désinvoltes, B’lieve I’m Goin down est un disque irrésistible, presque sexy dans cette façon d’assumer sa nonchalance. C’est l’album d’un garçon qui n’est pas allé à la fac et qui, la vingtaine venue, a passé deux ans à conduire des chariots élévateurs. Qui s’est réfugié dans les disques de Pavement, Sonic Youth, Dinosaur Jr. et Yo La Tengo. Qui fume beaucoup, qui est un peu hippie sur les bords. B’lieve I’m Goin down a été enregistré entre New York, Los Angeles et le désert du Joshua Tree. Vile y a élu domicile aux studios Rancho de la Luna, parce qu’ils avaient été fréquentés plus tôt par le collectif malien Tinariwen, qu’il admire. Il y a fait appel au producteur Rob Schapf, qui fut jadis aux manettes du Mellow Gold de Beck et du Either/Or d’Elliott Smith. Il en ressort un disque délicieusement anachronique à l’heure du digital. Un album, enfin, qui ressemble à ceux des fameux héros de Vile (Yo La Tengo, Pavement), pour cette façon d’éloigner sans cesse le rock des formats, et d’insuffler du romantisme dans les guitares débraillées.

     

     

     

     

     

     

    4 ieme  Jeanne Added - Be Sensational

     

    Passée par le jazz et le lyrique, Jeanne Added bouleverse les codes et les registres du rock grâce à une variété vocale inédite dans le paysage indé. Motivée puis encadrée par les conseils et la production de Dan Levy (moitié de The Do), la chanteuse est, de très loin, la grande révélation scénique de l’année. Et son disque éternise l’impression de la plus belle des manières. Un premier album explosif, noise et ambitieux par une des révélations scéniques de ce début d’année. A 34 ans, Jeanne Added a une tête à avoir été biberonnée au rock. C’est pourtant un violoncelle et non une guitare électrique qu’on lui a collé entre les mains à l’âge de 7 ans. Son parcours est prestigieux : la Rémoise est passée par le Conservatoire national supérieur de Paris et la Royal Academy of Music de Londres. En 2005, elle décide d’envoyer valser le jazz pour la voie (x) du rock. En 2011, elle chante les poètes anglais sur un premier ep, puis tourne avec The Dø. Avec Dan Levy, moitié du duø, naît l’idée d’un premier album. Les allers-retours durent des mois : elle écrit les paroles (“en anglais, pour mettre de la pudeur”) et compose, il arrange. “J’ai suivi la prosodie des mots.” 

     

     

     

     

     

     

    5 ieme Jamie XX - In Colour

     

    Si ces six dernières années, les occasions d’apprécier les productions de Jamie XX n’ont pas manqué, on a eu moins souvent l’opportunité de savourer son travail en solo. Trois petits maxis en tout et pour tout, dont le lumineux “Far Nearer” en 2011, qui suggéraient que si d’aventure ce grand timide, peu enclin à se glisser sous les feux des projecteurs, se décidait un jour à sortir un album, celui-ci se hisserait sans problème au niveau de ses productions pour The XX ou Gil Scott-Heron. Voire au-dessus. Ce qui est sans doute le cas. Ce qui est sûr, c’est que ce premier album est à la hauteur de ce qu’on pouvait espérer de la part de l’Anglais. Enregistré à l’été 2014 à Londres entre deux soirées passées au club Plastic People, il est à l’image du contexte dans lequel il a été conçu : un disque à la fois estival et très britannique, où rythmiques dubstep, garage et jungle se parent d’ornements caribéens, de guitares baléariques et de nappes solaires, où légèreté et mélancolie se confondent dans des volutes planantes. Le disque de l’été, haut la main. (Gérome Darmendrail)

     

     

     

     

     

     

    6 ieme Viet Cong - Viet cong

     

    Les voyages, dit-on, forment la jeunesse. Elle peut également, parfois, la déformer –jusqu’à la défigurer. Basé à Calgary, formé sur les cendres des secouants et secoués Women, Viet Cong sortait en 2013 un premier maxi intitulé Cassette. Brouillonnes, déjà nerveuses et tordues mais encore relativement douces, les démos de Cassette étaient une trompeuse introduction à ce qu’allait devenir Viet Cong sur son premier album éponyme, en écoute ci-dessous : une arme de destruction jouissive. Car Cassette est paru juste avant un périple dont la folie a transmuté la tendre lumière 60s des Canadiens en un trou noir brutal : deux mois pleins de tournée DIY nord-américaine, beaucoup d’expérimentations et de jams collectifs dans des salles parfois presque vides, le tout entassés à quatre dans l’inconfort absolu d’un véhicule à peine plus grande que votre petit coin.

    On ne sait pas précisément quelles villes ont été visitées mais on mettrait notre main à couper que le Diable en personne s’y représentait en même temps, chaque soir, jusqu’à imprimer sa marque dans l’esprit des Canadiens : si le sang n’a certes pas été versé sur le coup, il coule comme possédé, vicié, envenimé, drogué dans les veines du passionnant et furieux Viet Cong.

    Cousin post-punk et sonique des expérimentations patraques et des airs mauvais de Suuns, Viet Cong a été enregistré en quelques nuits d’un décembre noir et congelé de la campagne Ontarienne. Du calme rural a surgi une férocité de baston : Viet Cong est un disque coups de poings, une série d’uppercuts à l’estomac et à la tête, aux tripes et aux neurones. Dès son ouverture, dès le rythme martelé, la mélodie psalmodiée et les guitares en cutter de Newspaper Spoons, le ton de Viet Cong est donné : il sera noir, méchant, et la lumière pop qui transparaît parfois au détour d’une déflagration ou après un rush dément semble n’être que celle, désespérée, qui suit l’apocalypse nucléaire.

    Quelque part entre la rigueur bétonnée de Joy Division (la superbe Continental Shelf), les mouvements magmatiques de Godspeed (les 11 minutes zinzins de la finale Death), la folie des Liars (la géniale March of Progress et sa surprenante cascade de guitares, comme si les Californiens se frottaient aux Smiths), Viet Cong malmène son auditeur sur la longueur de ses 7 chansons. Pour, finalement, lui offrir une fascinante et phénoménale catharsis : en ces temps troublés, c’est sans doute salvateur.

     

     

     

     

     

     

     

     

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