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    L'autre jour l'un des philosophes français les plus important, à mon sens, Alain Badiou est passé dans le poste de télévision, dans l'émission "Ce soir ou jamais" sur France 2, tard le soir. Dans le cadre des nuits debout, je suppose , il nous livre sa vision du monde, il nous parle de Capitalisme vainqueur et de fascistes de tout poil, y compris Islamistes. J'ai retranscrit l'interview visible par ailleurs dans le lecteur. Bon visionnage ! ou bonne lecture ou bien les deux .

     

     

     

    Alain Badiou :

    Ce que je pense c'est que le capitalisme s'est réellement mondialisé. Ce qui était une prédiction de Marx lui-même. Il pensait que la structure même du capitalisme était à la fin des fins un marché mondial. Ça s'est réalisé, à vrai dire, sur l'arrière-plan d'une défaite fondamentale, qui était celle de l'autre hypothèse, à savoir l'hypothèse incarnée par les états socialistes qui ont constitué tout de même pendant un demi-siècle à peu près, une sorte de limite, de barrière et surtout constitué l'idée qu'il y avait une autre hypothèse.

     

    Pass : spark


    Alain Badiou Ce soir ou jamais par jf-guer1

     

     

    Alors la défaite de ce point de vue-là, qu'on appelait le camp socialiste a non seulement été une défaite objective, au fond la victoire du camp occidental de ce qu'a été la guerre froide, ça  a été aussi , c'est le plus important, une victoire subjective, parce que ça a réalisé dans la totalité des esprits la conviction que au fond le système occidental qui mélange, premièrement, une hégémonie de l'organisation capitaliste qui n'est plus contestée à proprement parlé par personne en tout cas par aucun processus réel, qui mélange ça, deuxièmement, avec au fond à la conception que ce système peut se faire de la démocratie, à savoir les libertés individuelles, l'émancipation des mœurs etc. … Cette configuration-là était la figure définitive de l'histoire actuelle.

     

    C'est dans ce cadre-là que tout ce qui se passe aujourd'hui se situe y compris les avatars de la politique européenne qui n'est en réalité qu'une composante en fragment de ce mouvement général.  Fragment qui sur ce point ne me parait pas avoir fait preuve d'une grande indépendance par rapport au système qu'on pourrait dire occidental en général et qui maintiens sur quantité de questions essentielles l'hégémonie des Etats Unis y compris leur hégémonie diplomatique et militaire sur l'ensemble du dispositif.

     

    Ce que je pense de ce point de vue-là, c'est que la leçon à en tirer ne me parait pas pouvoir être, une espèce de recyclage démocratique de la construction européenne, parce que le problème est beaucoup plus important. Le problème est de savoir si l'on va continuer à travailler mentalement et politiquement à l'intérieur d'un monde considéré comme unique en un certain sens et unifié parfois, unifié par une allégeance universelle au mode d'organisation, de production, et de répartition capitaliste, mode qui cependant à l'échelle du monde provoque des inégalités proprement monstrueuses. Des inégalités qui sont sans précédent dans l'histoire, quelques dizaines de gens aujourd'hui possèdent l'équivalent de 3 Milliards d'autres. On a des chiffres de cet ordre, il faut imaginer de cet ordre. Je pense que de ce point de vue la réponse à ce défi est une réponse qui suppose la reconstruction par tous les moyens, expériences politiques locales incluses naturellement et aussi un grand effort théorique et idéologique pour passer tout simplement de la conviction qu'il y a une seule hypothèse à la conviction que peut-être il y en a peut-être une autre. Je comprendrais l'initiative de Yannis Varoufakis pour autant qu'elle s'intègre dans cette vision des choses. Si elle ne s'y intègre pas elle me parait condamnée d'avance parce que d'une certaine façon elle s'affrontera à une totalité beaucoup plus vaste qui vit en réalité dans la conviction qu'elle est inébranlable.

     

    Le journaliste FT :

    Vous dite que c'est le capitalisme qui provoque l'affaiblissement des états.

    AB :

      ça a toujours été son être propre, déjà Marx soutenait, nous en avons la démonstration la plus patente tous les jours, que les gouvernements étaient les fondus de pouvoir du capital, c'était son expression. Ça n'a jamais été aussi vrai qu'aujourd'hui, on peut même admirer Marx de l'avoir dit dans les années 1840 quand on sait ce que c'est devenu aujourd'hui y compris les partis de gauche, les socialismes variés etc. ... se comportent en effet au pied du mur, en ayant rien d'autre à faire qu'obtempérer à l'organisation et notamment à l'organisation du capitalisme. Donc en réalité le système des violences, des guerres locales, des difficultés, de l'humiliation délibérée du peuple grecque par les institutions européennes. Tout ça se sont des péripéties de la même scène, du même monde dans lequel on fait savoir à tout à chacun qu'il n'y a qu'une seule règle, une seule loi et que par conséquent il est requis pour les peuples, pour les gouvernements, les organisations quelles qu'elles soient de s'intéresser à l'intérieur de ces dispositions. Ça créé évidement quantité de malheur et quantité de déceptions.

     

     

    Le journaliste FT:

    De nouvelles pratique impérialistes dites-vous, autre fois l'impérialisme consistait à coloniser ses voisins aujourd'hui ça consiste à dépecer des états comme l'Irak, comme le Lybie, l'ex Yougoslavie.

    AB :

    Absolument le pillage international n'est plus organisé comme autrefois. Une espèce de partage entre les puissances impériales comme la conférence de Berlin en 1885, où on découpait l'Afrique en morceaux, il y avait des morceaux anglais, des morceaux Allemands, des morceaux Français etc…

    En réalité il y a aujourd'hui une compétition ouverte du pillage des régions ouvertes, et d'une certaine manière on préfère se rapporter à des bandes armées anarchisantes dans des pays dévastés que d'avoir à faire avec un état qui peut réclamer sa part. De ce point de vue-là la méthode générale de l'impérialisme contemporain, c'est un mélange d'expéditions militaires et de corruption qui n'a pas besoin à proprement parlé de la stabilité coloniale ancienne, de l'administration directe etc… Et cela entraine dans des zones entières de la planète une sorte de dévastation anarchique où les bandes armées circulent dans un sens ou dans un autre. Des interventions militaires extrêmement anarchiques des puissances occidentales qui font des dégâts considérables et dans ce monde dévasté une sorte d'errance des populations qui cherchent désespérément à gagner ce qu'on leur présente tous les jours comme étant le paradis sur terre, à savoir le monde occidental.

     

     

    Le journaliste FT :

    Le monde occidental soit on y adhère et on a envie d'y ressembler, soit on a envie de prendre sa revanche contre lui. C'est comme ça que vous expliquez le fascisme contemporain, le fascisme qui s'appuie sur une religion ce sont les tueurs de daesh qui sont pour vous de jeunes fascistes ou aube dorée en Grèce. C'est un fascisme qui lui s'appuie sur une identité.

    AB :

    Y compris le petit fascisme pétainiste que nous avons localement, incarné par le FN. Ce que je pense, c'est que la description est celle-là. A l'échelle du monde, l'hégémonie occidentale dans sa forme contemporaine qui est en réalité l'hégémonie des régions dans lesquelles se constitue le centre financier et productif de l'économie capitaliste. Cette hégémonie fascine les populations, il y a à l'échelle du monde une passion que j'appellerais "le désir d'occident". Le désir d'aller là, d'être là, d'imiter cette partie du monde apparemment protégée, stabilisée avec des comportements démocratiques, des libertés nouvelles etc… Et si ce désir d'occident est frustré, et il l'est pour des milliards de gens y compris dont certains habitent ici même. S'ils voient qu'en travaillant beaucoup ils ne trouvent pas une place convenable dans cet occident fantasmé. Alors ils peuvent basculer dans une espèce de haine, d'amertume qui sera structurée par les groupes intéressés à les structurer, ce qui peut donner des comportements meurtriés et sauvages. En réalité, on aurait donc d'un côté, c'est ce qu'on nous fait croire tous les jours, un bon occident, les valeurs de la France, les valeurs démocratiques, les valeurs républicaines etc…  et de l'autre des choses extrêmement méchantes et féroces qui sont ces bandes fascistes recyclées dans la religion , dans l'islam. Ce qui manque c'est la troisième hypothèse, je reviens à mon début, ce qui n'existe pas à cette échelle de façon crédible, une hypothèse qui ne serait ni l'un ni l'autre et qui serait tout simplement le renouement avec la conviction qu'il est possible de construire un monde qui ne soit pas sous la loi de la concentration des capitaux et des inégalités monstrueuses créées par le capitalisme. Je propose à ce propos de recycler le vieux mot de communisme auquel il est arrivé beaucoup de malheur et qui a été trainé dans un ruisseau bourbeux historiquement parce que tout simplement il a nommé depuis 2 siècles cette idée qu'un autre monde est effectivement possible à l'échelle d'ensemble.

     

     

    Le journaliste FT :

    La période où le capitalisme était plus vertueux, Alain Badiou pense qu'il était plus vertueux parce qu'il y avait la peur du communisme qui était là, et qui faisait que les américains recyclaient leurs excédents chez les pays pauvres et semblait moins égoïste qu'aujourd'hui.

    AB :

    Il est évident que la stratégie américaine, je crois que l'analyse qu'en fait Varoufakis n'est pas très fine, très documentée, c'était quand même fondamentalement une logique de guerre froide, l'Europe c'était d'abord et avant tout le front continental face à ce qui était le rival fondamental, l'Etat soviétique. A la fin de la guerre c'était comme ça. Et un des points qui me parait faible dans l'idée de recycler démocratiquement cette Europe, cette Europe c'est l'Europe de la guerre froide et c'est une Europe fallacieuse. Qu'est-ce que c'est que cette Europe qui ne contient pas la Russie, qui est même anti russe par nature et par ailleurs incorpore des régimes fascisants comme le régime polonais actuel ou le régime Hongrois, c'est une Europe qui historiquement n'est pas véritablement défendable, parce que son époque est passée. Son époque c'est d'avoir été abondablement constituée par les Etats Unis comme un premier rempart à l'extension du communisme.

    *ce titre est tiré d'un titre de Bérurier noir


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